20061004

La fille de l’autobus.

Il a fini par arriver, perçant l’épais brouillard aussi délicatement qu’un éléphant dans un jeu de quilles. D’un gracieux mouvement de la main je lui fais signe de me prendre à son bord. Et c’est avec souplesse et détermination que j’y monte. Ils sont tous là, avec leurs gueules d’enterrement. Aller travailler semble un clavaire à la plupart. C’est vrai qu’il est tôt, trop tôt, beaucoup trop tôt. Personne ne parle, encore perdu dans la brume de la nuit.
Au fond il y a cette fille, plutôt bien de sa personne, propre sur elle, dans la vingtaine, probablement. C’est une nouvelle. Enfin, je ne l’ai jamais vu. Son visage est fermé, pensif ou simplement détaché de ce monde qui lui semble bien cruel. Pas de maquillage, les cheveux mi-longs en queue de cheval, comme si elle s’était préparée bien vite, pressée. Ses yeux sont fatigués, très fatigués. Elle me regarde distraite, absente.
Que s’est-t-il passé hier au soir, cette nuit ou même ce matin? Pourquoi tant de fatigue, de lassitude? Une mauvaise nouvelle peut-être. Ce maudit cancer qui a frappé un proche. À moins que ce ne soit son petit qui cette nuit a été malade. Elle est triste de l’avoir confié à une autre, parce qu’il faut qu’elle aille travailler, pas le choix, sa job est en jeu. Peut-être a-t-elle passé une bonne partie de la nuit à l’attendre? Il était parti prendre un verre avec ses chums, mais le temps a passé et il n’est pas rentré. Sa soirée s’est probablement prolongée à une table de pool, ou aux danseuses. Ou pire, dans les bras d’une autre. Alors elle n’a pas dormi et ce matin, elle rumine, entre haine et amour, espérant oublier dans les gestes quotidiens de l’ouvrage, en autant que les collègues ne posent pas de questions.
Je ne sais pas le pourquoi du comment. Déjà il me faut quitter le navire, le boulot m’appelle et je ne saurai jamais les états d’âmes de la fille de l’autobus. Parce que le temps file, parce que dans l’autobus, on ne se parle pas, ou si peu.
Demain peut-être.

1 Comments:

Blogger L'ex said...

Très joli texte...

2:01 p.m.  

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